#06 – Qu’est-ce que connaître ?

J’ai une relation bizarre avec Twitter, faite d’attraction, dépendance et mépris.

J’entre très peu en discussion sur Twitter. De nombreuses discussions finissent par en arriver à un problème de définition des mots ou des concepts.

Il semble que les gens ont une vision essentialiste du langage: un mot représente un sens et un seul (le leur), une idée et une seule, un concept et un seul.

Alors qu’il me semble évident que la langue, les mots sont des conventions arbitraires, temporaires et fluctuantes.

C’est pourquoi dans tout travail sérieux, la première étape est de définir les éléments du discours, les mots et concepts que l’on va utiliser. Voir le langage juridique ou une thèse ou même une simple dissertation.

Une fois que l’auteur a donné sa définition, tout le raisonnement s’appuie sur cette définition. Bien sûr, le raisonnement ne sera pas sans doute valide pour toute autre définition. On peut critiquer la définition de départ. On peut critiquer le raisonnement sur la base de la définition donnée par l’auteur, mais on ne peut pas critiquer le raisonnement sur la base de notre propre définition de la notion concernée (surtout, sans expliciter cette définition personnelle, ce qui est le cas le plus souvent). Une telle critique n’a pas de valeurs.

C’est aussi pour ça qu’il est essentiel d’analyser les présupposés (il y en a toujours) qui sont contenus dans toutes les propositions avancées. C’est là que la critique peut souvent porter.

Evidemment sur Twitter, ce n’est pas pratique commune de commencer par définir proprement son sujet et ce dont on parle. L’outil lui-même n’invite pas à faire preuve de nuances et de précisions.

Autre aspect qui me semble lier au précédent:

Je croise ou lit beaucoup de gens pour qui le monde semble à la fois transparent et évident, et qui s’avèrent en même temps profondément ignorant, ou avec de fausses conceptions sur nombre de choses. Quand je dis que le monde leur paraît évident, c’est que ces personnes n’interrogent pas leurs conceptions, leurs interprétations ou compréhensions du monde autour d’eux. Et s’il y a quelque chose qu’ils ne comprennent pas, soit ils s’inventent une fausse explication, soit ils ne le remarquent même pas.

J’essaie d’imaginer le mode d’être au monde pour ces personnes. Le plus proche que je puisse imaginer était ma vision du monde quand j’étais adolescente / jeune adulte.

Pas enfant: pour un enfant, le monde est objet de curiosité incessante. L’enfant est toujours en recherche et en quête de savoir, il n’a pas encore fixé sa compréhension du monde, ses modèles d’interprétation.

A l’adolescence, on a progressivement l’impression que ça y est, on a compris, on sait de quoi il en retourne. Et avec le manque d’expérience, couplé avec un reste de complexe de supériorité de l’enfant, l’adolescent a l’impression qu’il sait maintenant tout ce qu’il y a à savoir. Il perd sa curiosité, et en grande partie sa capacité d’apprendre, excepté pour le ou les domaines qui sont sa passion, s’il en a une. (Ceci est une généralisation abusive. De nombreux adolescents continuent à apprendre, mais est-ce que ce ne sont pas seulement ceux qui ont développés une pratique de l’apprentissage qui les récompensent, par flatterie de leur ego, pour plaire à leurs parents ou professeurs, plutôt que par simple curiosité et appétit de savoir intérieur – je pense que j’étais dans le premier cas).

Si j’essaie de décrire ce mode d’être au monde: les choses autour de nous, les idées n’ont pas de profondeur. Elles sont ce qu’elles sont, elles sont visibles dans leur totalité et il n’est pas nécessaire de chercher pour dévoiler plus de choses, il n’y pas de raisons de questionner leur être / nature ou raison d’être. Une chose est ou n’est pas, dans une vision parfaitement manichéenne du monde.

Dans le même temps, ce qui n’est pas connu n’est même pas perçu: le signal / stimulus est reçu par le cerveau, mais comme il ne correspond à aucune idée pré-existante, il est ignoré, et ne fait même pas surface au niveau de la pensée consciente.

Si je devais dessiner une telle situation, j’imaginerai quelqu’un entouré de billboards / panneaux d’affichage (seulement 2 dimensions, rien à voir derrière), et des montagnes de brouillards tout autour. Dans une telle situation, il me paraît très facile de se faire manipuler, par un panneau plus séduisant qu’un autre. Il ne s’agit pas forcément de personnes qui ne sont pas éduquées (voir tous les gens éduqués qui ont pu être séduits par un gourou tel que Bhagwan dans l’Oregon – il y a sans doute de nombreux facteurs qui interviennent dans ce cas spécifique). Le point important, c’est que les gens éduqués ne sont pas immunes.

A l’inverse, si je devais décrire mon expérience d’être au monde, ce serait plutôt un monde dense, en trois dimensions, avec de nombreuses parties cachées à découvrir par le questionnement, avec des relations multiples courant dans tous les sens. C’est surtout un monde où quelque chose que j’ignore me saute aux yeux et suscite immédiatement des questions. Evidemment, je ne peux pas accummuler tout le savoir qui peut exister surtout, mais je veux avoir une représentation aussi correcte que possible, même si elle est très générale, et en connaître si possible les limites, les questionnements, et avoir une ouverture, un aperçu de l’étendue des choses qui se cachent derrière. Avoir conscience de ce que je ne maîtrise pas.

Souvenir de la messe où le prêtre dit qu’il faut retrouver l’enfant qui est en nous. Etre comme cet enfant. Et la manière dont il en parle, ça paraît être bien, très positif de trouver et d’être comme un enfant. Mais l’enfant que j’étais à l’époque n’arrivait pas à réconcilier ça avec son expérience présente d’être un enfant, qui était loin d’être satisfaisante, Je ne comprenais pas ce que retrouver l’enfant en nous voulait dire, parce que ce n’est pas l’enfant qui existait dont on parle, mais d’une vision idéalisée de l’enfance, la vision qu’un adulte a de l’enfance.

Dans cette vision de l’enfance en tant qu’adulte, la soif de découverte, la curiosité, l’humilité aussi de ne pas tout savoir sont les choses essentielles à émuler.

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