Divagations #04 – Notion d’échelle

La notion d’échelle et l’impact des changements d’échelles sont indispensables à prendre en considération, et en même temps souvent difficile à concevoir pour la plupart des gens.

Notion d’échelle en géographie, économie, statistique, biologie, psychologie, politique, physique et astrophysique.

Echelle temporelle.

Echelle en géographie

L’analyse de l’espace ou des territoires en géographie ne peut pas se faire sans la notion d’échelle. Cette notion d’échelle en géographie constitue le fondement de ma compréhension du phénomène des échelles.

Quelques explications:

Un territoire peut avoir l’une des échelles suivantes: le quartier, la ville, la région, le pays, le continent, la planète…

Un acteur / un phénomène peut avoir des actions différentes à différentes échelles, et parfois contradictoires. Ce n’est pas qu’une question de localisation, mais bien de dimension.

Le changement climatique est maintenant un phénomène reconnu (sauf peut-être encore par quelques américains conservateurs). C’est un phénomène assez simple à comprendre à l’échelle de la planète: bilan des entrées / sorties d’énergie. Par contre, c’est beaucoup plus compliqué d’en voir les effets à l’échelle locale, celle que les gens peuvent appréhender directement. Les effets peuvent même apparaître localement en contradiction avec un réchauffement (renforcement des tempêtes hivernales aux US) si l’on n’a pas la compréhension du mécanisme d’ensemble (réchauffement sans précédent du monde arctique, qui conduit à des flux d’air froid à des latitudes plus basses, du fait des fluctuations du jet stream, pour faire très schématique).

Echelle en économie

Les économies d’échelles sont un des moteurs de l’industrialisation et de la consommation de masse: quand il est devenu possible de fabriquer en masse à bas coût, alors le niveau de vie et de consommation de la population a pu augmenter de manière significative.

Ces économies d’échelle sont la justification pour les oligopoles ou quasi-monopoles des firmes multi-nationales géantes. En même temps, les gouvernements tentent (en vain) de lutter contre eux, du fait des axiomes de base de la théorie économique néo-classique, selon laquelle compétition = des prix plus bas + une meilleure qualité, et monopole = des prix plus hauts + une qualité plus basse.

C’est pourquoi toutes les startups se préoccupent de leur “scalability”, et qu’il faut à tout prix enlever les humains de la boucle, car les humains ne sont pas réellement “scalables”, ou en tout cas pas sans difficultés et coûts élevés (recrutement, formation, management, différences individuelles qui rendent le travail de chacun jamais complètement reproductible). Il est tellement plus simple de multiplier les instances d’un programme, ou maintenant les containers sur Kubernetes.

Cela fait certainement partie des défauts des monopoles, mais ce ne sont pas les seuls, ni même sans doute les plus graves.

Le quasi-monopole de Facebook sur les médias sociaux les rend capable d’exercer un chantage sur les utilisateurs pour accéder à toujours plus de données privées (sinon, vous perdrez l’accès à nos services!). Cela leur donne une moisson incroyable de données sur la population des internautes (par vertu de la statistique et des trackers dans tous les sites webs, qui loguent même les personnes qui ne sont pas sur Facebook). De ces données, ils sont maintenant à même d’extraire de la connaissance: par la recherche académique, rarement, mais surtout pour des raisons de marketing (après tout, ce n’est pas un service public, c’est un business). Du marketing à la manipulation, le pas est vite franchi (le marketing va faire en sorte de mettre en avant les points positifs dans le langage approprié à la cible, mais le produit et ses fonctionnalités existent bien et sont vérifiables / la manipulation consiste à diffuser des opinions qui, fausses ou non, n’ont parfois rien à voir avec ce que la personne ou l’organisation qui les diffuse supporte vraiment).

Cela nous a conduit à un autre changement d’échelle:

Echelle des big data et de l’AI

Les avancées récentes du machine learning ont été rendues possibles grâce à la quantité de données numérisées / structurées qui existent ou qui peuvent maintenant être générées à bas coût (merci les Amazon turkers!).

Echelle en statistique

notion d’échantillon représentatif / marge d’erreur

Echelle en biologie / psychologie

Voir Harari et Damasio

Les humains ont appris à collaborer dans des groupes toujours plus larges, grâce dans un premier temps aux capacités sociales héritées de nos lointains ancêtres les bactéries pour répondre au principe de l’homéostasie. Le langage a permis d’étendre le cercle du groupe, et ensuite la création d’idéologies (au sens de Harari, qui inclut les religions) ont permis aux humains de collaborer au sein de groupement toujours plus large.

Damasio voit une limite à cette expansion, car si la biologie peut expliquer l’extension du principe homéostatique au-delà de l’individu à son cercle proche (notion de extended self), pour des groupes plus éloignés, cette extension repose sur les phénomènes culturels, construits par l’homme, éminent variables par conséquent. Peut-être même que l’homéostasie est à l’origine de notre animosité à l’égard du différent, de l’étranger, qui historiquement constituait une menace. Voir l’article en anglais The Strange Order of Things

Harari voit toutefois un sens dans l’histoire passée qui conduit à des unités politiques de plus en plus vastes.

Difficile de spéculer, mais il semble que les deux idées ne soient pas exclusives l’une de l’autre: au fur et à mesure que les moyens de communication planétaires atteignent de plus en plus de populations, les idées se répandent et se développement, sont adaptées et adoptées. Sans aucun doute de force au temps de la colonisation, de manière plus insidieuse, mais non moins efficace, aujourd’hui à travers les médias. Les régimes autoritaires l’ont bien compris, qui tentent par tous les moyens de contenir les idées libérales / occidentales (voir Putin et les lois anti-homosexuels, régulation de l’internet, voir la Chine et la censure, voir Boko Haram et le refus de l’éducation des filles).

Malgré tout, je ne vois pas d’avenir à court ou moyen terme de paix et harmonie universelle, car si les idées se diffusent, elles évoluent aussi, de plus en plus vite, et il y aura toujours un conbat des Anciens contre les Modernes (voir Anciens, Modernes et post-humanistes).

Echelle en politique

Pour rejoindre Harari, les Etats-nations de création récente peuvent apparaître maintenant comme dépassés, et les alliances régionales, voir un gouvernement mondial sont simplement nécessaires, considérant la nature des problèmes à régler. C’est une forme de course aux armements. L’autorité doit toujours avoir un périmètre au moins aussi large que ce qu’elle tente de réguler. Sinon, cette autorité n’est absolument pas effective. Voir l’article sur l’obsolescence de l’Etat-nation

Les problèmes actuels sont planétaires: pas seulement le changement climatique, mais aussi les FMN, les questions de taxations internationales et de fuite de capitaux, les mafias aussi opèrent sur une échelle supra-régionale, sinon mondiale.

Echelle en physique et astrophysique

La conciliation des échelles en physique est sans doute une des questions les plus difficiles, qui a donné lieu au plus grand nombre de théories candidates au titre de “theory of everything”. Je n’ai pas la compétence d’en débattre, sinon le questionnement / l’étonnement naïf de la béotienne que je suis: pourquoi faut-il absolument qu’une seule théorie explique les deux échelles? Dans tous les autres domaines, on a pu voir que l’échelle n’est pas un phénomène neutre. Mais j’imagine que la théorie du tout vise aussi à expliquer ces variations d’effets à différentes échelles.

Echelle temporelle

Variation de perspective temporelle en fonction de l’âge.

Ignorance / impossibilité à figurer des échelles de temps de l’ordre du million ou milliard d’années.

Pourquoi le raisonnement par échelle est si difficile à comprendre pour beaucoup

La plupart des gens ne vivent et n’ont conscience que d’une échelle:

• une échelle spatiale: leur ville / quartier est ce qu’ils expériencent au quotidien. Peu voyagent suffisamment pour que le changement est un impact sur leur perspective. Leur connaissance des autres niveaux est purement intellectuelle, pas du tout palpable. Ce sont des représentations, plus ou moins justes, acquises à travers la télé et quelques lectures.
• une échelle de temps: notre vie jusqu’à maintenant.

Cela peut changer: entre mode de vie urbain et rural, changement de continent. Mais surtout par un effort intellectuel d’ouverture et d’apprentissage pour élargir le cercle de ses connaissances.

Side note: j’ai l’impression que beaucoup d’adultes se sont habitués à ne pas tout comprendre, et sont même aveugles à tout ce qui dépasse leur entendement, ils ne se rendent pas compte que cela existe, ou parfois même l’absorbe et le ré-utilise sans comprendre (ex: SEO associé à marketing, mais employé dans un contexte hors internet). Ils font penser aux androids de Westworld pour qui les images du monde extérieur n’ont pas de sens.

En ce sens, j’ai l’impression d’être restée un enfant. Je ne peux pas voir une chose que je ne connais pas ou ne comprends pas sans chercher à comprendre / en savoir plus. Que ce soit le sens d’un mot, ou une nouvelle idée, découverte, etc.

Voir l’article intitulé Qu’est-ce que connaître?